Écrire avec Pompidou (épisode n°9 de la série Politique & Littérature)

Pompidou, ou l'art de rendre la politique poétique...

Ce neuvième épisode de la série Politique & Littérature est consacré à Georges Pompidou, illustre amoureux de notre langue et de notre littérature dont j'avais déjà tenté ici de retenir certaines de ses leçons d'écriture : « Mettez du Pompidou dans vos écrits. »

Pour le dépeindre, empruntons au Croquis de mémoire de Jean Cau : "Génial ébéniste de soi-même, fondeur et ciseleur de son propre bronze, venu à la politique à pas lents, comme un paysan se dirige vers le champ de foire, dans un beau costume des dimanches, après avoir appris dans les herbages à regarder et jauger les bestiaux."

Pour s'inspirer, écoutons ses mots : "C'est en fréquentant les hommes, en mesurant leurs difficultés, leurs souffrances, leurs désirs et leurs besoins immédiats, tels qu'ils les ressentent ou tels qu'il faut leur apprendre à les discerner, qu'on se rend capable de gouverner, c'est-à-dire d'assurer à un peuple le maximum de bonheur compatible avec les possibilités nationales et la conjoncture extérieure."

Mais tentons d’y voir plus clair dans son style.

La citation à retenir :

Je suis de ceux qui pensent que dans les cinquante ans, la fortune consistera à s’offrir la vie du paysan aisé du début du XXe siècle, à bien des égards, c’est-à-dire de l’espace autour de soi, de l’air pur, des œufs frais, des poules élevées avec du grain... On y ajoute des piscines et des automobiles, mais ce n’est pas une modification fondamentale, il reste le besoin d’air, de pureté, de liberté.

Georges Pompidou, dans une interview en 1970. De quoi confirmer son esprit visionnaire alors que le retour au vert et les grands espaces sont effectivement des besoins ressentis par une grande partie de la population française aujourd’hui.

Le style de Pompidou :

Georges Pompidou avait trois ambitions : “Faire de la littérature, faire de la politique, se faire aimer des femmes.

On peut être assez certain qu’il a réussi les deux premières, et cela avec un certain style. Tout en pudeur, tout en humour, tout en panache.

Reçu premier à l’agrégation de lettres classiques en 1934, Pompidou, c’est avant tout une immense culture qui, comme l’écrit Bruno de Cessole, “le sauva des lieux communs et des formules pompeuses et creuses de la rhétorique politique usuelle.

C’est aussi un amoureux de la poésie et des poètes, Baudelaire en premier lieu, Eluard aussi.

À propos de la poésie, il disait ceci : “Elle est la forme d’art la plus parfaite. Elle a, entre autres, le mérite de se fixer facilement dans la mémoire [...] mais aussi elle est plus qu’une forme d’art ou d’expression : une capacité d’émotion et de rêve.

Il s’est toujours considéré comme un amateur de la politique, réalisant son ascension sur la scène nationale dans l’ombre du général de Gaulle, lui restant fidèle sans jamais tomber dans l’esprit courtisan. En réalité, cet amateur des arts, se rêvait écrivain ou artiste.

Quoi de plus normal alors qu’il n’ait eu de cesse de tenter d’imprégner le champ politique avec de la poésie. C’est ainsi qu’en 1969, lors d’une conférence à la Comédie-Française sur le thème “Poésie et politique”, il déclara les mots suivants :

“Poètes et politiques doivent avoir la connaissance intuitive et profonde des hommes, de leurs sentiments, de leurs besoins, de leurs aspirations. Mais tandis que les poètes les traduisent avec plus ou moins de talent, les politiques cherchent à les satisfaire avec plus ou moins de bonheur. Poètes et politiques doivent être guidés par une conception du sens de la vie, et j’ose dire, un besoin d’idéal. Mais les poètes l’expriment et les politiques cherchent à l’atteindre.

Sans doute, le personnel politique actuel, dans sa grande majorité, a oublié cet enseignement et qu’il conviendrait de remettre un peu de poésie dans le discours politique...

Un outil pour cela, que nous lègue Georges Pompidou, c’est sa géniale Anthologie de la poésie française publiée en 1961, et qui devrait trôner sur les bureaux de nos ministres et parlementaires.

Empreint de cette littérature, Georges Pompidou avait le don d’emprunter spontanément, dans ses interventions publiques, des références culturelles et des citations littéraires sans qu’aucun conseiller ne lui ait fourni cette matière au préalable. Un jeu dangereux que celui d’user de citations mais qui, chez lui, était élégant tant cela paraissait naturel.

Cet infatigable défenseur de la langue française n’a pas fini de nous donner en héritage de précieuses leçons d’écriture et nous enjoint de nous poser cette question :

Comment croire à l’action si elle n’est pas la sœur du rêve ?”

Photo Jean-Pierre Loth/INA

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