Écrire avec Mitterrand (épisode n°10 de la série Politique & Littérature)
La citation à retenir :
“J’aime écrire. Je pense que si je n’avais pas été absorbé par la politique, j’aurais aimé consacrer une partie de ma vie à construire une œuvre littéraire. En avais-je le talent? J’en avais en tout cas le goût. Mais ce qui m’a manqué... C’est l’unité de l’esprit. [...] Je comprends l’écrivain qui passe cinq, six heures à sa table de travail, devant sa page blanche, même si, ce jour-là, il n’a rien à dire. Il arrivera toujours à écrire quelque chose qui correspondra à lui-même. L’homme politique, ou celui qui est pris par une autre profession, toujours attaché à lui-même, a de la peine à devenir écrivain. C’est mon cas.”
François Mitterrand, le 7 février 1975, invité par Bernard Pivot dans l’émission Apostrophes pour son livre, La Paille et le Grain.
Le style de Mitterrand :
François Mitterrand est sans doute le dernier de nos Présidents de la République à avoir eu un attachement viscéral à l’écriture et à la littérature.
Toute sa vie, il a projeté d’écrire un grand livre, une grande œuvre littéraire, à savoir une biographie monumentale de Laurent de Médicis, une passion dévorante, à tel point qu’on s’était mis à la surnommer le “Florentin”.
Et si chez lui, il y avait un balbutiement du “en même temps” de 2017, anticapitaliste et s’accomodant fort bien de l’économie de marché et des privatisations, agnostique mais croyant dans les forces de l’esprit, on peut lui reconnaître qu’il a été constant sur un point : son amour de la littérature et son goût des écrivains.
François Mitterrand était ainsi conscient que dans notre pays, plus que tout autre, “le sceptre des arts ennoblit la puissance du glaive.”
Cette passion pour la littérature est d’ailleurs plus ancienne que son attirance pour la politique, et sa conversion aux idées de gauche.
Le Prix Nobel de littérature, Gabriel Garcia Marquez, qui le connut, écrivit ainsi à propos de lui: “Il me semble que sa vision du monde, au lieu d’être celle d’un politique, était plutôt d’un homme brûlant de la fièvre de la littérature.”
Ses auteurs de chevet sont Baudelaire, Valéry, Mauriac et Claudel. Toutefois, Mitterrand pointe une réserve considérant la lecture comme “indispensable et dangereuse, car elle fait courir le risque de ne penser qu’en littérateur.”
François Mitterrand n’a cessé d’écrire sa vie durant : des articles de journaux, de revues, des correspondances dont celles avec Anne Pingeot, et révélées seulement en 2016, sont sans doute les plus belles, mais aussi de nombreux livres, des essais, des pamphlets, des préfaces sans oublier qu’il était doté d’un sens de la répartie quasi inégalé aujourd’hui.
C’est Michel Charasse qui parle le mieux de sa plume : “En toutes circonstances, il privilégia le mode écrit. Il passait des heures, dans son bureau, chez lui, à Paris ou Latche, chez des amis, en avion, pendant ses voyages, à couvrir de notes le moindre bout de papier qu’il enfouissait dans ses poches. [...] Des heures à tracer des milliers de lignes, d’une calligraphie soigneuse, avec son gros Waterman à encre bleue. Il demeurait ensuite longtemps à les reprendre, les corriger, les préciser [...] Amoureux de l’admirable concision de la langue française, il recherchait systématiquement, le juste vocable, le style classique, sans jamais céder à la magie du concept hermétique.”
Comme le souligne Bruno de Cessolle, si l’écriture fut chez lui une nécessité intérieure, un besoin vital, elle fut “une conquête plus qu’un don.” Il le concéda lui-même : c’était un effort, une souffrance parfois. Il n’était pas de ceux capables d’écrire d’un trait des pages sans fausse note. Cela lui demandait du temps, des relectures et des corrections éprouvantes.
Surtout qu’à ses débuts, son style se montre plutôt précieux avec un certain penchant pour une écriture emphatique. Une fois débarrassée de cet orgueil, son écriture devint plus spontanée et plus nerveuse.
C’est peut-être l’écrivain et critique François Nourissier qui a le mieux saisi son style : “Elégiaque, républicain, éloquent, sarcastique, solennel et méchant.” Singulier alliage qui ne le place peut-être pas au Panthéon de notre littérature mais qui aurait mérité qu’il dispose d’un fauteuil à l’Académie française, comme le conclut Bruno de Cessole.
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C’était le dernier épisode de la série Politique & Littérature, réalisée grâce à l’appui de l’ouvrage Le sceptre et la plume de Bruno de Cessole.