L’IA sera-t-elle l’autodafé de l’écriture et de notre intelligence ?
Disons-le d'emblée : il n’y a pas à avoir peur de l’IA qui, dans bien des domaines, peut apporter des progrès immenses à nos sociétés.
Mais notre devoir est de constamment être en alerte sur sa montée en puissance et l’utilisation que nous en faisons.
Car elle comporte bien un risque : atomiser la compétence rédactionnelle.
Or, bien écrire, ce n’est pas simplement pour faire joli. Savoir écrire, c’est d’abord structurer sa pensée ; c’est comprendre le sens des mots ; c’est savoir exprimer nos émotions et nos sensations ; c’est en fin de compte développer notre libre arbitre et notre esprit critique.
Quand on écrit sur du papier, puis quand on se corrige, quand on retravaille les structures de nos phrases, quand on puise dans la richesse de notre vocabulaire, on ne fait rien d’autre que stimuler notre cerveau, et donc notre intelligence.
Déléguer cette compétence à un ordinateur, ce qui paraît désormais si facile aujourd’hui, c’est se priver d’un effort cognitif pourtant essentiel à notre développement et à notre épanouissement personnel. Parce que le processus de rédaction est inhérent à celui de la réflexion.
Si la machine prend l’ascendant dans ce domaine, nous risquons d’avoir des millions voire des milliards d’individus ne sachant plus penser par eux-mêmes parce qu’ils auront choisi de livrer leur écriture, un exercice pourtant intime et qui peut être si ludique, à un outil qui n’aura que faire de se mettre véritablement dans leur peau. Ce qui arrivera inéluctablement, c’est alors l’avènement de la société universelle du « prêt-à-penser ».
Osons en effet regarder les choses en face. Qui sont aujourd'hui ceux qui sont aux manettes de l'Intelligence Artificielle? Les Américains d'abord. Ce sont donc eux qui injectent en premier lieu les données pour nourrir cette IA. En clair, ce sont de ces données dont nous dépendons aujourd'hui. Il y a là un fort risque d'homogénéisation de la pensée.
À bien des égards, nous avons pourtant pris le chemin de la délégation de cette compétence. Combien d’organisations disposent déjà de ces outils pour demander à leurs collaborateurs de rédiger impeccablement tel e-mail, tel compte-rendu de réunion, telle présentation…
À quoi bon prendre la peine de savoir bien écrire par soi-même ?
Ce fatalisme ambiant va nous mener dans le mur. Un mur oui, parce que ne pas savoir s’exprimer clairement à l’écrit en sachant par exemple utiliser l’art de la nuance, c’est glisser vers d’autres modes d’expression, orale et physique, plus violents.
Les sociétés, qui ont cherché à effacer les écrits de leurs grands auteurs, celles qui se sont tournées vers les autodafés de livres par exemple, ont sombré dans la violence.
L’écriture, c’est ainsi un savoir fondamental qui doit pouvoir continuer à être transmis et enseigné. C’est un choix de société vital.
Dans le même temps, il y a des initiatives salutaires, où la technologie et même l’IA sont utilisées à bon escient pour renforcer ce savoir. Je pense par exemple à l’application Plume, fondée par Aude Blanckaert Guéneau, qui permet à de jeunes enfants de développer leur capacité scripturale et leur imagination grâce à un accompagnement sur-mesure. Voilà typiquement comment l’IA peut être utile.
Mais, de grâce, ne faisons jamais l’impasse sur cette compétence.
C’est la raison pour laquelle le métier de plume est d’ailleurs si passionnant, parce que non seulement, il s’agit, avec les mots, de donner de la force et du style à des messages qu'on souhaite diffuser, mais aussi parce que ce métier est étroitement lié au monde des idées.
Je suis prêt à prendre un pari : les sociétés qui délégueront totalement la compétence rédactionnelle aux machines précipiteront leurs ruines.