L’écriture, métier manuel ou intellectuel ?

Il est peut-être temps de réconcilier ces deux aspects et affirmer, haut les cœurs, que le métier de plume, c’est aussi celui de l’intelligence de la main, au même titre que l’artisanat, au même titre que l’agriculture, au même titre que le travail à l’usine.

Pendant très longtemps, en France, on a cherché à vanter les métiers dits intellectuels tout en ayant peu de considération pour les métiers dits manuels.

On a pensé que le charpentier, le paysan ou l’ouvrier avait moins de mérite que le gratte-papier à la plume délicate. En somme, on a pensé que ces hommes aux mains marquées par l’effort étaient dénués de pensée.

On n’a pas compris que pouvait se cacher, chez eux, une philosophe comme Simone Weil qui allait embrasser la condition ouvrière.

On n’a pas compris que pouvait se cacher chez les charpentiers un philosophe comme Arthur Lochmann.

On n’a pas compris que pouvait surgir des terres cantaliennes une figure comme celle de Frère François Cassingena-Trévedy qui allait lui aussi embrasser la condition paysanne pour nous offrir de précieuses leçons de vie.

Il semblerait qu’on fasse aujourd’hui machine arrière et qu’on remette sur le devant de la scène ces métiers, comme le prouve le succès de l’apprentissage. C’est heureux.

On comprend peut-être enfin qu’il est vain d'imaginer un fossé entre le cerveau et la main.

« L’homme pense parce qu’il a des mains. », Anaxagore de Clazomènes.

Et ainsi, l’écriture n’est-elle pas justement à mi-chemin entre le travail intellectuel et le travail manuel ?

On imagine souvent l’écrivain comme un penseur inspiré, frappé par la grâce du style. Comme s’il était naturellement doué. C’est une jolie vision romantique des choses mais ce n’est pas la réalité.

Et si on admettait qu’il est avant tout un artisan des mots, réfléchissant à placer la virgule au bon endroit dans son texte comme on cherche à fixer une vis dans une bibliothèque. Que son stylo, son crayon, son clavier, ce sont des outils comme la charrue, le burin ou la meuleuse.

Et si on se disait que l’écriture, c’est avant tout un métier comme un autre, qui demande du travail, de l’effort et qu’à force de s’être attelé souvent à la noble tâche de coucher des mots sur du papier, chacun d’entre nous pouvait faire jaillir sa propre lumière d’une phrase, sa propre sensibilité, en tentant du créer du beau comme un artisan d’art.

Ecrire, contrairement aux idées reçues, ce n’est donc pas appartenir à une élite, c’est à la portée de tous.

Ecrire, c'est être tout autant artiste qu'artisan.

En réalité, il n’y a pas d’un côté des métiers intellectuels et de l’autre des métiers manuels. Il n’y a que des métiers.

Il n’appartient qu’à nous d’en faire surgir l’éclat.

L’écriture est au service de ce but.

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