Est-il encore permis de faire long ?

Nos sociétés occidentales ont l’air d’être aujourd’hui engluées dans une grande flemme.

Depuis quelques années, nombre d’essais tentent d’ailleurs de décortiquer le phénomène : La Civilisation du cocon de Vincent Cocquebert, Le Sacre des pantoufles de Pascal Bruckner, et plus récemment L’ère de la flemme d’Olivier Babeau, pour ne citer qu'eux.

Lire et écrire sont devenus aussi synonymes d'un effort suprême.

  • Le livre serait un objet en voie de disparition malgré quelques succès d’édition.

  • La diffusion de la presse écrite est en chute libre depuis quelques années.

  • Dans nos interactions au quotidien, tout est fait pour faire court et remplacer l’écrit : les émoticônes remplacent les mots, les abréviations, y compris en anglais, sont devenues légion.

  • Qui entretient encore des correspondances?

  • Vous n’avez plus besoin d’écrire, l’IA le fait désormais pour vous.

  • Il faut être bref, efficace, aller à l’essentiel pour déclencher une vente, un abonnement, un like etc. Le fameux appel à l’action…

Normal, répond-on, le temps d’attention de nos cerveaux ne cesse de se réduire, notre mémoire s’approchant irrémédiablement de celle d’un poisson rouge. Il faut donc bien calquer notre prose sur ce degré d’attention proche du néant.

Plus personne n'a le temps: il faut aller droit au but.

Même sur des plateformes comme LinkedIn où l’écrit paraissait avoir encore un peu de place, la tendance est à la vidéo courte à l’instar de TikTok ou d’Instagram, si l’on veut susciter de l’engagement.

L’ironie, c’est qu’on est capable de passer un temps fou sur des contenus courts dont on ne retient pas grande chose à force de zapper, plutôt que de passer le même temps focalisé sur un sujet, à le comprendre, à l’approfondir et à apprendre et s’enrichir.

Nous passons en moyenne 2h15 de notre temps par jour sur les réseaux sociaux ; 2h15 que nous ne prenons donc plus pour lire ou écrire.

Nous sommes en réalité rentrés dans un cercle vicieux : on produit plus et plus court pour satisfaire une addiction, à savoir une surconsommation de contenus digitaux. De la sorte, on ne fait que renforcer le déficit d’attention de l'être humain.

Bref, on a choisi la quantité au lieu de la qualité.

On a choisi la distraction immédiate, de déclencher de manière compulsive le circuit de le récompense mentale.

Ce faisant, on se prive de poésie, on se prive de profondeur, on se prive d’analyse, on se prive du vrai plaisir que procure celui de terminer un livre, ou que celui que procure le fait de mettre un point final à une œuvre écrite à la force de ses doigts.

Il en va ainsi par exemple en politique où la « punchline » a remplacé le discours…

Quelle tristesse de faire court pour le simple fait de céder à la mode de l’instantanéité.

Je crois que nous méritons mieux, que nos appétits intellectuels peuvent être stimulés de bien d’autres manières.

Attention, je ne dis pas qu'il faut nécessairement être long. Si ce n'est pour rien dire, cela est d'un grand ennui, naturellement.

A mes yeux, la clarté, la concision, la simplicité sont de rigueur.

Mais on peut se permettre de créer un récit, un raisonnement, une histoire, une analyse en respectant ces codes sans tomber pour autant dans l’abrégé, l’éphémère, l’étriqué, l’étroitesse, le racolage, le borné, tout ce qui est bien souvent induit par l’injonction à faire court.

Parfois, se dire qu’il est permis encore d’inventer un écrit qui reste, un écrit qui s’inscrit dans le temps long, cela fait du bien aussi.

Il n’y pas que les algorithmes et la zapette dans la vie.

Ecrire et lire deviennent aujourd'hui presque des combats alors qu'ils sont des plaisirs.

A nous donc les plumes, prête plumes, ghostwriters, copywriters, rédacteurs, bref à nous tous qui exerçons un métier de l'écrit, de ne pas céder systématiquement à la facilité du format court et être capable de proposer encore et encore des textes qui embarquent, qui font voyager, qui font rêver, et qui aiguisent la curiosité de nos lecteurs directs et indirects.

Précédent
Précédent

L’écriture, métier manuel ou intellectuel ?

Suivant
Suivant

Le silence est un luxe qu’il faut savoir apprivoiser