Comment le discours politique a perdu en intensité ?

Les discours politiques vous marquent-ils ? De quel discours politique récent vous vous souvenez encore ? Prenez-vous encore le temps d’écouter un discours politique?

Il semblerait qu’aujourd’hui, le discours politique se soit effacé considérablement de la prise de parole publique. Cela pour trois raisons à mes yeux:

  1. Le temps.

    Le temps politique s’est considérablement accéléré ces dernières années. Pour les responsables politiques, il s’agit de courir un sprint en permanence, de quoi s’essouffler. Aujourd’hui, ils passent ainsi plus de temps à penser leur communication, à répondre aux journalistes et à remplir leurs réseaux sociaux qu’à penser aux idées et bâtir une réflexion programmatique.

    Pourquoi? Parce que les médias et les réseaux sociaux ont pris une place considérable dans nos vie. Il y a de ça vingt ans, les acteurs politiques se bousculaient au portillon pour passer sur telle ou telle chaîne, sur telle ou telle radio. Ils pouvaient vivre sur cette intervention de nombreux jours après. C’était le graal. Aujourd’hui, vous avez plus de vingt rendez-vous politiques touts les matins, ce qui fait que le soir même, le public a déjà oublié ce que tel ou tel ministre, député, sénateur avait dit le matin. En clair, trop de parole tue la parole.

    Avec autant de grilles à remplir, les médias ne font plus tellement le tri dans les invités. Ainsi, nous nous retrouvons avec de soi-disant “experts”, chroniqueurs et personnalités publiques sous le feu des projecteurs alors même qu’ils n’ont pas franchement, entre nous, étaient confrontés tant que ça au terrain et aux réalités du quotidien.

    Inévitablement, nous rentrons dans une logique du court-terme, ce qui revêt une répercussion directe: on se doit de faire court et percutant sans prendre le temps de réfléchir aux mots employés.

    Conséquence : nous passons du discours politique à l’ère de la “punchline” politique, à l’art de la “petite phrase” , de la formule mais attention, pas n’importe quelle formule. Le “punch” en Anglais, c’est un coup de poing. La “punchline”, elle est là pour faire mal, assommer son adversaire, lui tordre le coup, le ridiculiser parfois.

    “Rhétorique émotionnelle contre rhétorique rationnelle”

    Une étude corrobore cet état des lieux et montre ce qu’on peut appeler la “bordélisation” du débat politique. Elle date de janvier dernier et a été réalisée par le Cepremap, le Centre pour la recherche économique et ses applications. Grâce à un outil d’Intelligence artificielle, il a analysé 2 millions de discours déclamés à l’Assemblée nationale entre le mois de juillet 2007 et la dissolution du 9 juin 2024. Les résultats révèlent une augmentation significative de la rhétorique émotionnelle au détriment de la rhétorique rationnelle. Une nette augmentation du registre de la colère est à noter particulièrement chez LFI et le RN. Dans l’ensemble, en 2014, 22% des discours appartiennent au registre émotionnel. Une part qui augmente à 30% en 2017 et qui culmine à 40% en 2022.

    Avant 2017, les députés prononçaient aussi de plus longs discours tandis que la nouvelle génération des députés élus en 2017 et 2022 privilégient davantage des interventions courtes, destinées à être reprises sur les réseaux sociaux pour stimuler l’émotion de leurs followers.

    Nous sommes rentrés dans une période de violence politique verbale. Le discours politique s’efface mais aussi la courtoisie en politique.

    Nous ne pouvons pas bien construire un discours politique dans ces conditions, d’autant que les vrais discours, car il y en a encore quelques uns, ne sont plus entendus, les médias privilégiant l’interview directe, les petites phrases, le fait de rebondir encore et encore sur ce qu’a dit son adversaire la veille…

  2. L’espace

    Nos responsables politiques sont devenus plus casaniers, plus sédentaires, sans doute pour être au plus près des lieux et cercles de décision et de diffusion de l’information. Ils ne quittent guère leurs bureaux et lorsqu’ils sont sur le terrain, c’est avant tout dans le cadre d’opérations de communication très cadrées et préparées à l’avance.

    Un exemple : quand ils parlent d’agriculture, ils vont au Salon de l’Agriculture, parfois au Sommet de l’élevage en Auvergne mais vont-ils souvent au contact direct des agriculteurs dans leurs exploitations ? Même chose pour l’industrie, le commerce etc. Ils sont dans les salons, les grands raouts mais rarement sur les lieux de production, là où l’on retrouve la valeur travail.

    Nous n’avons plus, à quelques exceptions près des Pompidou, des Chirac, des Mitterrand qui étaient enracinés, qui arpentaient la France des champs, des villes et ses îles.

    Or, c’est quand on sillonne ce pays qu’on est capable de l’incarner, ce qui doit se ressentir dans un discours politique, car c’est un gage d’authenticité et de sincérité.

  3. L’effacement du politique

    C’est peut-être le mouvement le plus récent celui-là. Depuis une décennie, nous avons voulu faire croire, dans les médias, dans certains cercles d’influence, et puis parmi de plus en plus d’acteurs politiques, que les convictions, les grandes idées, au fond, cela importait peu. Que ce qui compte en somme, ce sont uniquement des solutions pragmatiques, issues du monde de l’entreprise et de modèles étrangers, surtout américains.

    En clair, le champ politique s’est laissé dominer par la champ économique. Le pouvoir décisionnel devant ne plus relever de l’Etat et des pouvoirs publics mais de l’entreprise elle-même. C’est d’ailleurs assez frappant de constater, dans cette période, l’explosion de la RSE dans les entreprises, les questions de société étant gérées et réfléchies dans le privé désormais. Cela mène à l’impuissance du politique que tout le monde devine. Ainsi, chacun se pose la question : à quoi bon voter puisque nos vies sont en réalité régies par le privé et la mondialisation? Tout le monde devient donc indifférent au discours politique.

    Une autre farce : nous avons voulu faire croire que toutes les solutions allaient venir de la société civile. Mais cela a échoué. Nous avons simplement fait monter toute une génération de citoyens, certes, de très bonne volonté et munis d’intentions tout à fait louables, mais qui n’ont pas acquis d’expérience politique, qui n’ont jamais mis le nez dans un code des collectivités territoriales. Ils ont été jetés dans l’arène et sont devenus presque malgré eux des députés fantômes, dont on peine à mesurer les résultats. En voulant faire croire que la politique n’était pas un métier, on a décrédibilisé le rôle des hommes et femmes politiques.

    Dernière écueil: avec le “en même temps”, nous avons voulu faire croire que nous allions dépasser les clivages mais nous n’avons en réalité fait que vouloir annuler la droite et la gauche, ce qui a profondément désorienté nos concitoyens. Or, chacun d’entre nous est défini par un logiciel politique qui penche plutôt à droite ou plutôt à gauche. En voulant éteindre ce logiciel, fatalement, le grand public ne se retrouve plus dans le discours politique.

Voilà pourquoi peu de personnes sont encore aujourd’hui réceptif au discours politique. Ce qui est grave, c’est de se dire, avec le recul, que ce sont nos responsables politiques eux-mêmes qui ont sciemment abandonné les clés du pouvoir. C’est une démission collective.

Ce sont ces trois facteurs qui font que le discours politique a perdu en épaisseur.

  • Il manque de réflexion et d’analyse, faute de temps.

  • Il manque de sincérité, d’authenticité, faut de confrontation réelle avec le terrain, avec notre géographie.

  • Il manque de courage et de volonté par la fin supposée des clivages et l’impression d’impuissance donnée par le personnel politique.

Tout ceci n’est pas irréversible à condition de :

  • Cultiver la rareté et le silence dans la parole politique

  • Parcourir la France

  • Assumer ses convictions

Pourquoi c’est encore important le discours en politique? Nous pourrions nous dire que ce n’est pas si grave qu’il n’y ait plus de grand discours, de belles plumes politiques comme le furent Jaurès, Clemenceau, de Gaulle, Pompidou mais il faut alors admettre que nos sociétés ne se transforment peu à peu qu’en un agrégat d’individus car nous nous privons alors des paroles qui construisent un projet et un destin commun, ce qui est pourtant le rôle central du politique, quelque soit sa chapelle partisane. En somme, sans nos grands discours, nous nous privons des récits censés nous réunir.

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