Écrire avec Napoléon (épisode n°5 de la série Politique & Littérature)
Napoléon était-il un génie des Lettres ?
Aujourd'hui, cinquième épisode de la série Politique & Littérature avec celui dont on a du mal à trouver encore des superlatifs pour le caractériser.
Pourtant, c'est sous un angle méconnu qu'il convient ici de le décrire : Napoléon l'écrivain.
Car celui qu'on a surnommé "le dieu de la guerre" ou "l'arbitre du monde" maniait la plume avec presque autant d'ardeur qu'il ne le faisait sabre au clair.
Les récits épiques par exemple, qu'il fit de ses différentes campagnes militaires, ont magnifié son héritage et font de lui un conquérant romantique.
De quoi faire dire à Chateaubriand, qui le combattait pourtant sur le plan politique : "Vivant, il a manqué le monde, mort, il le possède."
La citation à retenir:
«Fontanes, savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde? C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose. Il n’y a que deux puissances dans le monde: le sabre et l’esprit. J’entends par l’esprit les institutions civiles et religieuses... À la longue, le sabre est toujours battu par l’esprit.»
Napoléon s’adressant en 1808 à Fontanes, grand maître de l’Université impériale. Étonnante confession de la part d’un conquérant comme le fut l’empereur.
Le style de Napoléon:
C’est sans aucun doute l’une des faces les moins connues de l’empereur: Napoléon l’écrivain. Et pourtant, il y a du génie aussi dans la plume de Bonaparte. Avec brio, il s’est adapté à de nombreux genres littéraires : histoire, pamphlet, correspondances, mémoire, philosophie et en a même créé de nouveaux comme la proclamation aux soldats et les bulletins de la Grande Armée.
Ses contemporains l’ont sacré comme un immense “poète de l’action et du destin”, en élevant l’épopée impériale à la dignité d’une chanson de geste comme l’aurait dit le chansonnier Béranger.
Il faut faire référence ici au romancier Léon Bloy qui, dans L’âme de Napoléon, écrit: “On ne peut rien comprendre à Napoléon aussi longtemps qu’on ne voit pas en lui un poète, un incomparable poète en action.”
Mais comment, dans sa vie bouillonnante, a-t-il trouvé le temps d’affûter sa plume? Souvent, les hommes d’Etat ont recours à de petites mains pour leurs travaux d’écriture. Lui n’a délégué à personne son œuvre littéraire.
Bruno de Cessole note qu’il possédait déjà jeune des qualités essentielles: l’imagination, la puissance du sentiment, la faculté d’ordonner les idées, la force de l’expression, la brièveté, la clarté et la précision. “Son style, comme celui de Stendhal, l’écrivain le plus proche de lui, marie l’énergie brusque de Machiavel à la sécheresse et la clarté de la prose des Lumières.”
Son style est à l’image de son caractère d’homme d’Etat : impérieux, tranchant, rapide, bref et lumineux comme l’éclair. Un style qu’il a acquis par lui-même en s’appuyant notamment sur d’innombrables lectures de jeunesse.
Les proclamations aux armées de Napoléon relèvent de l’inédit. Elles ont le don, en quelques mots, d’exhaler l’enthousiasme et la bravoure des troupes. Peu de personnalités politiques réussirent à manier ce langage par la suite, mis à part peut-être Gambetta, Clémenceau et bien sûr de Gaulle.
Les styles qu’il fuyait : tout ce qui est empreint d’artifice, d’emphase, de pathos et d’idées abstraites.
Ce qu’il aimait : l’Histoire par-dessus tout et la tragédie pour laquelle il avait une affection particulière. “Elle échauffe l’âme, élève le cœur, peut et doit créer des héros. Sous ce rapport, peut-être la France doit à Corneille une partie de se belles actions.”, écrivit-il.
Lors de son exil, l’écriture fut ensuite le moyen pour lui de justifier ses actes et de forger sa légende pour la postérité.
Mais tout au long de sa vie, une conviction domine : “la force des mots dépasse celle du sabre; elle peut changer le cours des choses, sculpter la réalité, et c’est elle qui, du passé, laisse la trace la plus durable dans la mémoire des hommes.”
Dernière leçon d’écriture de l’empereur : “Imperatoria brevitas”, ou la brièveté souveraine qui caractérise la plupart de ses écrits dont on retient un nombre incalculable de maximes passées à la postérité, dont voici quelques exemples:
“Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner.”
“L’imagination gouverne le monde.”
“Il faut vouloir vivre et savoir mourir.”
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La série "Politique & Littérature" raconte chaque semaine comment certains des grands personnages de notre Histoire ont été également des hommes de plume. Elle trouve sa source principale dans la lecture de l'ouvrage "Le sceptre et la plume" de Bruno de Cessole.