Écrire avec Jaurès (épisode 6 de la série Politique & Littérature)
C'est une icône du progressisme, un père du socialisme, et qui réussit l'exploit d'être pris en référence autant par la gauche que par la droite.
Voici Jean Jaurès auquel est consacré le sixième épisode de la série Politique & Littérature.
La citation à retenir :
«Je trouve médiocres les hommes qui ne savent pas reconnaître dans le présent la force accumulée des grandeurs du passé et le gage des grandeurs de l’avenir [...]. Glorifions le présent, mais avec mesure, avec sobriété, avec modestie! Ce qu’il faut, c’est ne pas juger toujours, juger tout le temps. Chaque époque doit être jugée en elle-même, dans ses moyens d’action et dans son enchaînement naturel. C’est ainsi que les enfants apprendront à connaître la France, la vraie France, la France qui n’est pas résumée dans une époque et dans un jour [...] mais la France qui est tout entière dans la succession de ses jours, de ses nuits, de ses aurores, de ses crépuscules, de ses montées, de ses chutes, et qui, à travers toutes ces ombres mêlées, toutes ces vicissitudes, s’en va vers une pleine clarté qu’elle n’a pas encore atteinte, mais dont le pressentiment est dans sa pensée.”
Le style de Jean Jaurès:
On ne pense pas spontanément à Jaurès comme homme de plume. Nous le percevons plutôt comme un grand orateur, dont on imagine encore entendre la voix empreinte de cet accent chantant du Midi.
Mais si la politique ne l’avait pas accaparé autant de temps, depuis son élection en 1885 au Parlement, il est probable que Jaurès aurait composé tout à la fois une œuvre philosophique et littéraire majeure, à l’image peut-être d’un Péguy ou d’un Bergson.
Parce qu’il avait du grand écrivain “l’envergure intellectuelle, la pénétration psychologique et le don du style.”
Bruno de Cessole évoque un style classique, “imprégné des cadences latines, aux périodes bien équilibrées, truffé de références antiques mais aussi d’images romantiques.”
Surtout, ses contemporains ont été tous sensibles à l’oralité de son style, “comme si aucun hiatus ne séparait chez lui l’écrit et la parole.”
Laissons donc à trois d’entre eux le soin d’exprimer ce qu’ils ressentaient en écoutant Jaurès.
“Il se mit à parler et, instantanément, ce fut un éblouissement. Il n’y eut plus, en face de nous, un petit homme, gros, ventru, hirsute, au veston usé, à la cravate lâche, il n’y avait qu’un verbe qui nous entraînait, nous emportait, nous illuminait. Son éloquence était née avec lui, était l’une des facultés maîtresses de son tempérament.”
Ce sont les mots de Victor Basch, élève de terminale, qui raconte l’impression qu’il avait fait sur les élèves du lycée Condorcet.
Le célèbre auteur autrichien Stefan Zweig fut également ébloui par la puissance de son style oratoire:
“C’était à présent une autre voix, forte, mesurée, nettement marquée par le rythme de la respiration, une voix métallique qu’on aurait dite d’airain. Il n’y avait en elle rien de mélodique [...] elle n’était pas lisse et ne flattait pas les sens. On ne sentait en elle qu’acuité, acuité et résolution. Parfois il arrachait, telle une épée, un mot de la forge ardente de son discours et le jetait dans la foule qui poussait un cri, atteinte au cœur par la violence de ce coup. Aucune modulation dans cette emphase [...] on avait l’impression qu’il avait la gorge dans la poitrine, et cela expliquait aussi pourquoi on ressentait à tel point que ses paroles venaient de l’intérieur, puissantes et agitées, issues d’un coeur non moins puissant et agité, souvent encore haletantes de colère, tressaillant toujours sous l’effet des battements vigoureux auquel était soumis son large thorax.”
Le dernier à marquer son admiration est Péguy, celui qui a ensuite largement pris ses distances avec l’héritage de Jaurès.
“Ceux qui l’avaient une fois entendu ne pouvaient l’oublier. Il montait à la tribune. Il était si plein de sa pensée que les premières phrases paraissaient mal venir [...] puis la lourde et robuste puissance de sa pensée commençait à se mouvoir [...] dans la force d’abord un peu grinçante et dans la puissance un peu sourde de sa parole, qui prenait aux entrailles. [...] Et son discours s’imposait, toujours admirablement composé comme une œuvre classique, servie par une voix soudain devenue claire.”
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