Ecrire avec Clemenceau (épisode n°7 de la série Politique & Littérature)
Écrire avec le Tigre, ou comment mettre du muscle et des griffes dans ses discours.
Aujourd'hui, épisode n°7 de la série Politique & Littérature avec Georges Clemenceau, dont on a peu à peu oublié l'œuvre littéraire.
Contrairement à Jean Jaurès, qui est aujourd'hui pris en référence tant par la droite que par la gauche, il est rarement remis sur le devant de la scène mis à part peut-être par Jean-Pierre Chevènement ou Manuel Valls qui l'ont plus récemment cité.
Il faut dire que le "Père la victoire" comme il a été surnommé, fut un homme politique détesté et controversé lorsqu'il bataillait à l'Assemblée. Lui-même disait : "Ne craignez jamais de vous faire des ennemis ; si vous n'en avez pas, c'est que vous n'avez rien fait."
C'est surtout un homme libre, sans attaches partisanes réelles, et difficile à cerner bien qu'il fut un ardent patriote.
Sur le plan de style, on retient qu'il savait mettre du souffle dans ses écrits mais que ces derniers étaient parfois trop verbeux, comme l'analyse Bruno de Cessole.
La citation à retenir:
«La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal.”
Georges Clemenceau, le 11 novembre 1918.
Le style de Clemenceau:
Indissociable de sa volonté politique, son style est celui de l’action, empreint toujours de souffle et de muscles. Il voue d’ailleurs un culte à l’activisme comme il l’écrit lui-même:
“Vivre, c’est espérer, c’est vouloir, c’est agir. Nous sommes par l’action. Par l’action, nous continuerons d’être, au-delà de la mort. Le besoin de l’action, de la vie pour l’action, voilà ce qui éclaire notre vie obscure, ce qui nous pousse le cœur ardent, aux réalisations d’avenir, ce qui nous meut dans la joie de faire, ce qui nous conduit à la paix reposante, dans la victoire ou la défaite, sans regrets de la vie vécue. [...] L’action est le principe, l’action est le moyen, l’action est le but. L’action de tout l’homme au profit de tous, l’action désintéressée, supérieure aux puériles glorioles, aux rémunérations des rêves d’éternité, comme aux désespérances des batailles perdues ou de l’inéluctable mort, l’action en évolution d’idéal, unique et totale vertu.”
C’est par le journalisme que Clemenceau est devenu peu à peu un homme de lettres. On peut ainsi le considérer comme un “forçat de la plume”, écrivant parfois jusqu’à une dizaine d’articles par semaine.
Son journalisme est d’ailleurs un journalisme de combat où il plaide pour la laïcité, l’égalité, la justice, contre les brutalités sociales, la peine de mort et le colonialisme. L’apogée de ces heures journalistiques se trouve dans L’Aurore où il défend ardemment le capitaine Dreyfus. C’est d’ailleurs lui qui trouve le titre de l’article de Zola resté célèbre : “J’accuse.”
Pourtant, peu d’entre nous se souvient de Clemenceau, l’écrivain. C’est sa “flamboyante figure politique” qui pique notre mémoire. Or, Clemenceau ambitionnait réellement de conquérir le statut d’homme de lettres.
Dans son imposante biographie de Démosthène, il dresse d’une manière détournée son autoportrait et souhaite laisser à la postérité un écrit qui le confirme comme une belle plume de la IIIe République.
Mais ce serait oublier qu’il est riche aussi d’une grande culture classique, ayant abondamment lu des livres de toutes sortes, scientifiques, historiques et littéraires et qu’il a essayé d’aborder à l’écrit tous les genres, avec plus ou moins de succès: théâtre, roman, souvenirs, récits, essais, réflexion politique, critique d’art, correspondances...
Il a d’ailleurs toujours préféré fréquenter les milieux littéraires et artistiques plutôt que le monde politique qu’il méprisait.
Ses contemporains ont, ceci étant dit, un jugement assez sévère de son style bien qu’ils louent ses grandes qualités d’orateur.
Léon Blum est celui qui le réhabilite décrivant “un romantique, un lyrique impressionniste, mêlant l’instabilité, la nervosité, à la richesse du développement et du vocabulaire [...] Mais son style m’intéresse moins que sa pensée. Il a le don de l’écrivain; il trouve le mot juste, le mot frappant ; sa phrase sèche reste toujours solide et d’aplomb.”
Voilà pour le souffle mais Bruno de Cessole nuance toutefois. Pour lui, son style souffre parfois “d’obésité, du moins de verbosité et de grandiloquence dans ses essais littéraires.” Pourtant, Clemenceau, lui-même, recommandait à son collaborateur Georges Mandel ce conseil: “Une phrase française se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Quand vous aurez besoin d’un complément d’objet indirect, venez me trouver !” Pour Bruno de Cessole finalement, son style est compromis par trop d’adverbes, trop d’adjectifs, souvent placés avant le substantif.